Citation: Oyetunde, J.O. & Barandao, D.D. (2025). Raconter Pour Exister: Le Pacte Autobiographique Dans Un Long Chemin Vers La Liberté De Nelson Mandela. Tasambo Journal of Language, Literature, and Culture, 4(1), 172-179. www.doi.org/10.36349/tjllc.2025.v04i01.018.
RACONTER POUR EXISTER: LE PACTE AUTOBIOGRAPHIQUE DANS UN LONG CHEMIN VERS LA LIBERTE DE
NELSON MANDELA
Oyetunde Julius Oluwafemi
Faculty of Humanities, Redeemer’s University, Ede, Osun State, Nigeria
Joyetunde84@Gmail.Com
07060580681
And
Barandao David D.
Faculty of Arts, Adeleke University, Ede, Osun State, Nigeria
Davisbran2000u@Gmail.Com
07068773484
Résumé
La présente étude examine la mise en
œuvre du pacte autobiographique dans Un
long chemin vers la liberté de Nelson Mandela. Loin de se limiter à
une simple restitution chronologique des événements marquants de sa vie,
Mandela engage, à travers ce récit, une entreprise de construction identitaire
et de transmission mémorielle, à la fois personnelle, politique et collective.
Son autobiographie se présente comme un espace de légitimation de son
itinéraire de vie, de ses luttes et de ses convictions, tout en jouant un rôle
mobilisateur dans le contexte historique de la lutte contre l’apartheid. En
adoptant une démarche d’analyse littéraire, cette recherche s’attache à mettre
en lumière les stratégies d’écriture par lesquelles l’auteur façonne son
identité narrative et inscrit son témoignage dans une mémoire partagée.
L’approche théorique s’appuie sur les travaux de Philippe Lejeune (1975),
notamment sur sa conceptualisation du pacte autobiographique, perçu comme un
contrat de lecture fondé sur l’identité entre l’auteur, le narrateur et le
personnage principal. Les réflexions de Mineke Schipper (1989) viennent
enrichir cette analyse en approfondissant la question de cette triple
coïncidence identitaire, condition essentielle à la reconnaissance du texte
comme œuvre autobiographique.
Mots-clés: autobiographie, pacte
autobiographique, pacte romanesque, pacte référenciel, pacte fantasmatique
Introduction
Dans
cette étude, nous proposons une lecture analytique de l’autobiographie d’une
figure emblématique africaine, Nelson Mandela, à travers son œuvre Un long chemin vers la liberté.
Afin de mieux cerner la notion d’autobiographie, nous nous appuyons sur la
définition proposée par Philippe Lejeune (1975), théoricien français et
fondateur des études sur l’autobiographie. Il définit ce genre comme un « récit
rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence,
lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire
de sa personnalité » (p. 14). Le mot vient du grec autos (soi-même), bios (vie) et graphein (écrire), ce qui
signifie littéralement « écrire sa propre vie ». En d’autres termes, une autobiographie
est un genre littéraire dans lequel une personne réelle raconte sa propre vie,
en mettant l'accent sur son expérience personnelle, son évolution et ses
pensées.
La problématique centrale de cette recherche est la suivante:
dans quelle mesure cette
œuvre respecte-t-elle les critères du pacte autobiographique, et comment sa
dimension autobiographique influe-t-elle sur la construction narrative de
l’identité de son auteur? Notre
objectif est de relever comment ces critères dites autobiographiques sont
respectés dans Un long chemin vers la liberté et dans quelle mesure le
pacte autobiographique y est effectif. Dans le même ordre d’idées il s’agit
d’une référence aux analyses de Mineke Schipper (1989) qui affirme que
l’identité entre l’auteur, le narrateur et le personnage principal est un
critère formel déterminant pour qualifier un texte d’autobiographique. Cette
recherche met ainsi en évidence l’importance du genre autobiographique dans la
transmission de l’histoire personnelle et collective, tout en soulignant les
enjeux liés à l’authenticité et à la subjectivité de l’écriture de soi.
Nelson Mandela et Un long chemin vers la liberté
Nelson
Rolihlahla Mandela est né le 18 juillet 1918 dans le village de Mvezo, au sein
du clan Madiba, dans le Cap oriental. Après la mort de son père en 1930, il est
élevé par Jongintaba Dalindyebo, régent du peuple Thembu. Scolarisé à Qunu, il
reçoit le prénom « Nelson » selon la coutume coloniale, puis poursuit ses
études secondaires à Clarkebury et Healdtown. Il entame des études
universitaires à Fort Hare, mais en est expulsé pour activisme, ce qui marque
le début de son engagement politique. À Johannesburg, il travaille comme agent
de sécurité avant d’intégrer un cabinet d’avocats grâce à Walter Sisulu. Malgré
des parcours académiques interrompus, Mandela obtient en 1989 une licence en
droit de l’Université d’Afrique du Sud, pendant sa détention.
Dans Un long chemin vers la liberté,
Nelson Mandela retrace son parcours, de son enfance dans le village de Mvezo
jusqu’à son élection comme premier président noir d’Afrique du Sud en 1994.
Adopté par le régent Thimbu après la mort de son père, il reçoit une éducation
à la fois traditionnelle et occidentale. Étudiant à Fort Hare, il est expulsé
pour activisme, puis s’installe à Johannesburg où il découvre la dure réalité
de l’apartheid. Il rejoint l’ANC et participe à la création de sa Ligue de
jeunesse, militant d’abord pour la désobéissance civile avant de co-fonder la
branche armée Umkhonto we Sizwe face à la répression. Arrêté en 1962, puis
condamné à perpétuité lors du procès de Rivonia, il passe 27 ans en prison,
devenant un symbole mondial de la lutte anti-apartheid. Libéré en 1990, il
œuvre pour la réconciliation nationale, obtient le prix Nobel de la paix en
1993 et devient président en 1994, consacrant sa vie à la justice, à la
démocratie et à la paix.
Les différents pactes de l’écriture de soi
Dans l’écriture de soi, plusieurs types de
pactes peuvent être établis entre l’auteur et le lecteur, chacun définissant un
rapport particulier au réel. Le pacte
autobiographique, théorisé par Philippe Lejeune, repose sur
l’engagement de l’auteur à raconter sa propre vie de manière sincère, avec une
identité affirmée entre l’auteur, le narrateur et le personnage principal. Le pacte référentiel,
souvent associé au précédent, garantit la fidélité aux faits réels, affirmant
que le récit proposé est vérifiable et non fictionnel. À l’inverse, le pacte romanesque rompt
cette promesse de vérité en créant un univers fictif, souvent marqué par des
noms inventés, des sous-titres évocateurs ou des situations imaginaires.
Lejeune mentionne également le pacte
biographique, qui concerne le récit de la vie d’autrui, tout en
partageant le même engagement référentiel. Enfin, le pacte fantasmatique
introduit une dimension symbolique, voire inconsciente, où l’auteur projette
ses désirs et conflits internes à travers le récit, brouillant ainsi la
frontière entre réalité vécue et fiction psychique. Ces différents pactes
permettent de mieux cerner la nature et les intentions de l’œuvre autobiographique.
Le pacte
autobiographique dans Un chemin vers la liberté
Le fondement
essentiel de l’autobiographie réside dans le phénomène de l’identité triple, c’est-à-dire la
coïncidence entre l’auteur, le narrateur et le personnage principal. Ce principe
constitue ce que Philippe Lejeune appelle un pacte autobiographique, c’est-à-dire un contrat implicite (ou
explicite) entre l’auteur et le lecteur, fondé sur un engagement de vérité.
Dans Un long chemin vers la liberté, Nelson Mandela respecte
rigoureusement cette logique. À travers ce récit, il nous plonge dans sa vie
intime et politique, tout en manifestant clairement sa volonté d’authenticité.
Le pacte autobiographique peut se manifester de manière explicite, lorsque l’auteur annonce clairement son intention
autobiographique dès les premières pages. Il peut aussi être implicite, notamment par la
correspondance entre les informations biographiques du narrateur-personnage et
celles de l’auteur. Dans le cas de Mandela, les deux formes sont présentes. Dès
l’ouverture de l’ouvrage, le lecteur est confronté à des éléments personnels
précis le nom, la date et le lieu de naissance du narrateur qui correspondent
exactement à ceux de l’auteur réel. Ainsi, Mandela écrit:
En plus de la vie, d’une forte constitution, et d’un lien immuable à la
famille royale des Thembus, la seule chose que m’a donnée mon père à la
naissance a été un nom, Rolihlahla. En xhosa, Rolihlahla signifie littéralement
“tirer la branche d’un arbre”, mais dans la langue courante sa signification
plus précise est “celui qui crée des problèmes”. […] Je suis né le 18 juillet
1918, à Mvezo, un petit village au bord de la rivière Mbashe, dans le district
d’Umtata, la capitale du Transkei. (p. 4)
Cette déclaration
autobiographique, à la première personne, engage immédiatement le lecteur dans
une relation de confiance,
fondée sur la sincérité du récit. Le narrateur se présente clairement comme
Nelson Mandela, et l’ancrage dans le réel est renforcé par des références
historiques et géographiques précises. Par ailleurs, selon Philippe Lejeune
(2006), le lecteur identifie souvent le pacte autobiographique grâce à certains
indices textuels ou paratextuels: le titre (Mémoires, Souvenirs, Histoire
de ma vie), le sous-titre (Autobiographie, Journal, Récit),
l’absence de mention du mot « roman », ou encore la présence d’une préface ou
d’une déclaration en page de couverture. Dans Un long chemin vers la liberté,
ces éléments sont bien présents. Le sous-titre
mentionne clairement: « Autobiographie traduite de l’anglais (Afrique du
Sud) », ce qui lève toute ambiguïté sur la nature du texte. À cela s’ajoute
la présence du nom complet de l’auteur,
Nelson Mandela, ainsi que sa photographie sur la couverture,
renforçant ainsi l’effet de réel. L’ouvrage évoque également des lieux et dates clés de l’histoire sud-africaine, tels que Robben Island,
Johannesburg, ou encore les années d’incarcération (1962-1990), autant
d’éléments qui contribuent à l’authenticité
du récit. Par ailleurs, la dédicace de Nelson Mandela contient
précisément des éléments révélateurs de la nature autobiographique du récit. Voyons cette dédicace du narrateur:
Je dédie ce livre à mes six enfants: Madiba et Makaziwe (ma première
fille), qui sont maintenant décédés, et Makgatho, Makaziwe, Zenani et Zindzi,
dont le soutien et l’amour me sont précieux ; à mes vingt et un petits-enfants
et à mes trois arrière-petits-enfants qui m’ont apporté beaucoup de joie ; et à
tous mes camarades, mes amis et mes compagnons sud-africains au service de qui
je suis, et dont le courage, la détermnation et le patriotisme restent ma
source d’inspiration. (p. 2)
L’évocation de ses
proches, l’ancrage dans sa réalité familiale et historique, ainsi que la mise
en avant de ses valeurs, illustrent
la volonté de l’auteur de partager un témoignage sincère et authentique. En somme, Un long chemin vers la
liberté illustre parfaitement le pacte autobiographique tel que défini par
Lejeune. L’identité entre auteur, narrateur et personnage, l’engagement à dire
la vérité, l’ancrage historique et géographique, ainsi que les éléments
paratextuels , viennent confirmer
que Mandela a bel et bien choisi de livrer
au lecteur un témoignage véridique de sa vie, de ses combats et de son
époque.
Les éléments périphériques du récit
autobiographique dans Un chemin vers la liberté
On entend par éléments périphériques du récit
autobiographique, l’ensemble des indices ou critères qui permettent de
confirmer la nature autobiographique d’un texte. Ce sont en effet, des faits ou
indices qui sont facilement repérables dans le texte et dans le paratexte. Dans cette
perspective, nous passons en revue Un chemin vers la liberté pour
vérifier cette identité entre le personnage principal et l’auteur. Dans
l’œuvre, le personnage principal se décrit comme suit:
En plus de la vie,
d’une forte constitution, et d’un lien immuable à la famille royale des Thembus, la seule chose que m’a
donnée mon père à la naissance a été un nom, Rolihlahla. En xhosa, Rolihlahla
signifie littéralement « tirer la branche d’un arbre », mais dans la langue
courante, sa signification plus précise est « celui qui crée des problèmes ».
(p.4)
Le narrateur nous
indique que Rolihlahla est le nom que lui a donné son père à sa naissance. Ce
nom, celui du personnage principal, est identique à celui du narrateur.
L’auteur du roman porte également ce nom.
Autrement dit, le narrateur, l’auteur et le personnage principal sont une seule
et même personne. Il est donc possible d'affirmer que l’identité du narrateur,
de l’auteur et du personnage principal est bien établie.
Un texte écrit à la
première personne
Dans un texte
autobiographique, la narration se fait à la première personne,
ce qui signifie que le narrateur utilise des pronoms personnels comme « je », «
moi », « me », « nous » pour parler de lui-même, de son caractère et de sa
personnalité. Cela implique nécessairement que l’identité de l’auteur, du narrateur
et du personnage principal soit identique. Généralement, deux « je » coexistent
ou cohabitent dans un récit autobiographique: le « je » adulte, c’est-à-dire
celui du moment de l’écriture, et le « je » plus jeune, celui du moment où
l’évènement raconté a eu lieu. Dans la préface du
roman, l’auteur dédie son œuvre à ses enfants et amis en utilisant le pronom «
je ». Il faut noter que le narrateur adulte et
le personnage principal sont la même personne, mais à deux moments différents
de sa vie: celui du souvenir et celui de l’écriture.
Le « je » adulte dans la narration
Dans une série de passage où le narrateur
adulte utilise « je » pour s’exprimer, ce « je » renvoie énoncés faits par l’auteur à un moment
précis de l’écriture, dans le présent de l’énonciation. En effet, l’auteur en employant la première personne du
singulier, inscrit son récit dans une perspective subjective marquée par le temps de l’écriture. Ce
« je » adulte s’exprime après coup, avec une distance qui permet une réflexion
sur les évènements passés. Il n’est plus celui du moment vécu, mais celui qui a
intégré et analysé ces évènements, ce qui rend le récit plus réfléchi et moins
immédiat.
Les phrases comme «
je dédie ce livre » (p. 2) ou « je me souviens » (p. 12) renvoient clairement à
l’acte de narration dans le présent. Le narrateur adulte fait le choix de se
remémorer des évènements marquants, en les partageant avec ses proches et ses
lecteurs. Il ne se contente pas de raconter des faits, mais il leur donne aussi
un sens, un poids émotionnel, à travers la perspective qu’il a acquise avec le
recul du temps. L’acte de se souvenir est donc ici un acte conscient, un moyen
pour l’auteur de transmettre une vision plus mûre et éclairée de son passé.
L’utilisation répétée
du « je », comme dans les extraits « je pense que » (p. 46), « je suis l’aîné
de la… » (p. 7) ou « je ne me souviens plus de… » (p. 356), souligne le travail
de mémoire et d’introspection. Le narrateur adulte se pose souvent en témoin et
en commentateur des évènements, apportant son regard critique sur les
circonstances et ses propres réactions face à elles. Ce « je » adulte ne se
contente pas de relater des faits, mais il interprète, analyse et réfléchit sur
ce qu’il a vécu, ce qui fait du texte non seulement un récit, mais aussi un
espace de réflexion et d’interprétation.
De plus, l’usage de «
je » dans les moments de doute ou de remise en question, comme dans « je ne
suis pas du tout… » (p. 415) ou « je me souviens bien de… » (p. 408), montre que le narrateur adulte a
atteint une certaine forme de maturité et de lucidité, qui lui permet de
revenir sur ses expériences passées avec un regard nuancé. Cette capacité à
douter, à remettre en question ses souvenirs et ses convictions, témoigne d’une
démarche intellectuelle et personnelle qui se construit au fil du temps. En se
servant de cette technique narrative, Nelson Mandela transforme son récit en un
espace de vérité, où la subjectivité du narrateur adulte fait face à
l’objectivité du passé.
Plus important, le pronom « je » dans Un
long chemin vers la liberté ne se réduit pas à une simple forme
grammaticale. Il devient le vecteur de l'identité de l’auteur, qui mêle le
passé et le présent, la mémoire et l’expérience. Le « je » adulte et le « je »
du personnage principal s’entrelacent pour offrir au lecteur une vision
complète et intime de la vie de Nelson Mandela, vue à travers les yeux d’un
homme devenu adulte et sage, mais qui n’a jamais perdu le lien avec son passé
d’enfant et de jeune homme.
Le « je » enfant dans la narration
En ce qui concerne le « je » enfant dans la narration, le pronom « je » est employé par le narrateur pour évoquer ses souvenirs d’enfance, et
il se réfère au « je » du passé, celui qui a vécu les évènements racontés. Ce «
je » enfant, contrairement au « je » adulte du tableau précédent, nous présente
une version plus immédiate, moins filtrée des évènements. Le narrateur, en
utilisant ce pronom, nous invite à entrer dans l’esprit du jeune Mandela, un
enfant qui observe et apprend les réalités de son monde avec une innocence
mêlée de curiosité. Le « je » enfant, donc, ne fait pas de commentaire
rétrospectif sur les évènements, mais les relate dans leur immédiateté, du
point de vue d’un enfant qui essaie de comprendre ce qui l’entoure.
Les exemples de
phrases comme « je ne faisais pas partie… » (p. 6) ou « je n’avais pensé à
rien… » (p. 16) illustrent cette spontanéité et ce manque de recul. Le
narrateur ne possède pas encore la capacité de juger les évènements avec
l’objectivité d’un adulte. L'innocence de l’enfance est palpable dans des
passages comme « je croyais que le monde… » (p. 48) ou « je n’ai pas soupçonné…
» (p. 13), où il semble que l’enfant ne réalise pas encore la complexité du
monde qui l’entoure, ce qui est une caractéristique de l'enfance: une
perception du monde encore non filtrée par les expériences et la connaissance.
Ce « je » enfant est
aussi un « je » qui apprend et qui observe. Par exemple, dans des phrases
telles que « j’ai observé quand j’étais… » (p. 13) ou « j’ai appris à tuer… »
(p. 10), il devient évident que le jeune Mandela est plongé dans un
environnement où il apprend par l’observation et l’expérience directe. La
narration à travers ce « je » est un moyen pour l’auteur de montrer non
seulement les évènements de sa jeunesse, mais aussi le processus de maturation
de sa pensée et de ses idées. À travers ses souvenirs, le narrateur nous permet
de voir comment il a grandi dans un contexte complexe, où la politique, les
luttes sociales et les traditions jouent un rôle déterminant dans sa formation.
Les passages comme «
j’étais enfant à Qunu » (p. 12) et « j’étais allé au lycée » (p. 52) nous
rappellent aussi que ce « je » enfant évolue, se transforme et prend
progressivement conscience de sa place dans la société. À mesure que les
évènements se déroulent, nous assistons à un passage de l’innocence à une prise
de conscience plus profonde, ce qui est aussi symbolisé par des moments où le
narrateur montre son engagement croissant, comme dans « j’ai été désigné… » (p.
49) ou « je votai avec eux… » (p. 49). Ces souvenirs montrent l’évolution du
jeune Mandela, qui devient progressivement plus conscient des enjeux sociaux et
politiques qui l’entourent.
En somme, le « je »
enfant dans Un long chemin vers la liberté est essentiel pour comprendre
la jeunesse de Mandela dans sa complexité. C’est un « je » qui apprend, qui
observe, qui est parfois naïf, mais qui, à travers son évolution, devient
progressivement le « je » adulte réfléchi que nous avons vu dans le premier
tableau. L’usage de ce « je » passé permet au narrateur de nous immerger dans
son monde d’enfance et de nous offrir une vision intime de son développement
personnel, de ses idées et de ses valeurs qui se forment à travers des
expériences vécues dans le contexte d’une Afrique du Sud marquée par les
injustices et les conflits.
Le
paratexte du texte
Le paratexte désigne l’ensemble
des éléments textuels et graphiques qui encadrent une œuvre littéraire et
participent à sa présentation, son interprétation et sa réception. Ce concept,
théorisé par Gérard Genette, a profondément influencé la critique littéraire
contemporaine en soulignant l’importance de tout ce qui « entoure » le texte
proprement dit. Comme le souligne Lane (1992), il
s’agit de l’« entourage » du texte, incluant ses préliminaires, ses étiquettes
et ses adresses. D’après Mitaine (2013), le paratexte remplit plusieurs
fonctions essentielles:
l’identification (nom de l’auteur, titre de l’ouvrage, nom
de l’éditeur, lieu et date d’édition, lieu d’impression, nom de la collection,
code barre, etc.), de l’organisation (table des matières, bibliographie,
répertoire, index, annexes), de la distinction (couverture souple ou rigide,
format du livre, choix du papier) ou de la séduction (jaquette, illustration de
surface, graphisme, etc.) (p. 2)
Gérard Genette
distingue deux grandes catégories de paratexte: Le péritexte qui regroupe tous les éléments situés à
l’intérieur du livre, comme la couverture, la préface, la postface, la
dédicace ou encore les notes de l’auteur. L’épitexte: désigne les éléments extérieurs au livre, tels
que les interviews, les correspondances de l’auteur, les critiques littéraires
ou les campagnes publicitaires. De plus, le paratexte peut être produit par
deux instances distinctes: Le paratexte
auctorial: généré par l’auteur lui-même (préface, dédicace, entretiens,
correspondances, etc.).Le paratexte
éditorial: conçu par l’éditeur (quatrième de couverture, jaquette,
avant-propos de l’éditeur, choix typographiques, etc.). En somme, le paratexte
joue un rôle crucial dans la réception d’une œuvre. Il ne se limite pas à un
simple ornement textuel ou graphique, mais constitue une interface entre le texte
et le lecteur, influençant la manière dont l’ouvrage est perçu, compris et
interprété.
Le
paratexte éditorial
Le paratexte
éditorial renvoie à l’ensemble des éléments produits ou choisis
par l’éditeur dans le but de présenter, promouvoir et valoriser l’œuvre auprès
du public. Il engage donc la responsabilité
de l’éditeur, et
comprend entre autres: la couverture, la page de titre, la quatrième de
couverture, la jaquette, la bande, les catalogues, les illustrations, ainsi que
les messages publicitaires.
La couverture du récit autobiographique Un long chemin vers la liberté de Nelson Mandela est riche en
signification et en symbolisme. Elle présente un fond sombre, créant une ambiance
visuelle lugubre qui évoque une existence marquée par la douleur,
l’oppression et les ténèbres. Toutefois, cet arrière-plan ténébreux est
contrasté par la clarté du visage de
l’auteur, mis en valeur au centre de la page, et par l’écriture en blanc lumineux du nom de l’auteur
ainsi que du titre de l’œuvre. Cette opposition visuelle entre ombre et lumière
renvoie symboliquement au parcours
difficile mais porteur d’espoir de Nelson Mandela. Le visage éclairé de
Mandela suggère l’émergence de la lumière après de longues années de
souffrance, incarnant l’idée que, malgré l’âpreté du combat, une issue
favorable est possible. Ce regard grave, empreint d’émotion et de dignité,
reflète non seulement l’angoisse
individuelle, mais aussi les souffrances
collectives subies par le peuple noir sud-africain sous le régime de
l’apartheid. Le titre Un long chemin vers la liberté, bien qu’évocateur
d’une épreuve ou d’un parcours initiatique, ne renseigne pas explicitement sur le genre littéraire de
l’ouvrage. L’absence d’un sous-titre
générique ou d’une indication éditoriale précise laisse planer le doute:
s’agit-il d’un roman, d’un récit historique, d’une autobiographie ou encore
d’un essai politique? Ce silence éditorial sur la nature exacte de l’œuvre
oblige donc le lecteur à se tourner vers d’autres éléments du paratexte pour en
apprendre davantage.
La quatrième de couverture joue un rôle
crucial dans l’orientation du lecteur et dans la création du désir de lecture.
Dans le cas d’Un long chemin vers la liberté, elle s’ouvre par un court
texte narratif et informatif qui résume
l’itinéraire de Mandela, depuis son enfance au sein de la royauté Thimbu
jusqu’à son accession à la présidence de la République sud-africaine. Ce résumé
met en lumière les principales étapes de son combat politique, notamment son
engagement dans l’ANC, son emprisonnement pendant vingt-sept ans, et son rôle
déterminant dans la lutte contre l’apartheid. Le texte insiste également sur la
valeur historique et politique
de l’œuvre, en la présentant comme un document
majeur sur l’histoire contemporaine de l’Afrique du Sud. Il souligne
l’exceptionnalité de l’homme, prix Nobel de la paix, tout en mentionnant
l’adaptation cinématographique du livre, sortie en 2013 un élément qui
participe également à la stratégie éditoriale de promotion.
Conclusion
L’analyse
du récit Un long chemin vers
la liberté à la lumière du pacte autobiographique théorisé par
Philippe Lejeune confirme son inscription rigoureuse dans le genre
autobiographique, respectant les critères de forme, de temporalité et
d’identité narrative. Cette œuvre dépasse la simple narration d’une trajectoire
individuelle pour devenir un instrument de transmission de la mémoire
collective sud-africaine, en articulant étroitement histoire personnelle et
luttes politiques. À travers son écriture, Nelson Mandela érige un espace de
revendication identitaire, de reconstruction historique et de justice
symbolique. L’étude souligne ainsi le rôle essentiel de l’autobiographie dans
la préservation de la mémoire nationale, dans la dénonciation des injustices
passées, et dans l’éveil des consciences citoyennes. Un long chemin vers la liberté
illustre pleinement la capacité du récit de soi à conjuguer témoignage
individuel et enjeu politique, renforçant la portée sociale et historique du
genre autobiographique.
Bibliographie
Boughefir,
C. (2012). Perte de soi et quête de l’identité dans l’écriture
autobiographique de Nina Bouraoui: Le cas de Garçon manqué. Mémoire de
magistère, Université Mohamed Khider – Biskra.
Boulafrad,
F. (2010). Amkoulel l’enfant peul d’Amadou Hampâté Bâ, roman
autobiographique. Mémoire de master, Université de Médéa.
De
Greve, M. (2008). L’autobiographie, genre littéraire? Revue de littérature
comparée. Paris: Klincksieck.
De Maumigny-Garban, B. (2003). Démarche autobiographique et formation:
Modélisation historique et essai de catégorisation fonctionnelle. Thèse de doctorat, Université Lumière
Lyon 2.
Eriksson,
L. (2004). Le pacte autobiographique, l’ordre du récit et la littérature
enfantine dans Mémoires d’une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir et Les
mots de Jean-Paul Sartre – Une comparaison. Mémoire de master, Växjö
Universitet.
Fleishman,
A. (1983). Figures of Autobiography. University of California Press.
Genette, G.
(1987). Seuils.
Éditions du Seuil, coll. "Poétique"
Gusdorf,
G. (1990a). Les écritures du moi. Lignes de vie 1. Paris.
Gusdorf,
G. (1990b). Auto-bio-graphie. Lignes de vie 2. Paris.
Gusdorf,
G. (1990c). L’autobiographie, échelle individuelle du temps. Bulletin de
Psychologie, 43(397).
Kalpet,
E. (2014). L’autobiographie dans l’univers littéraire tchadien: Histoire de
migration et d’espoir. Mémoire de master, Université de Ngaoundéré.
L’Eplattenier,
A. (2007). L’autobiographie: Une écriture de soi. Pratiques, (133/134),
3–14. https://doi.org/10.4000/pratiques.888
Lamothe,
S. (2011). Les modes d’expression du projet autobiographique dans la bande
dessinée Québécoise. Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal.
Lecarme,
J. (1998). La question de la distinction des genres: Roman, autobiographie,
Autofiction. Conférence inédite prononcée à l’Université de Lille 3.
Lejeune,
P. (1971). L’autobiographie en France. Paris: Armand Colin, coll. « U2 ».
Lejeune,
P. (1975). Le pacte autobiographique. Paris: Éditions du Seuil.
Lejeune,
P. (1980). Je est un autre. L’autobiographie de la littérature aux médias.
Paris.
Lejeune,
P. (1990). La pratique du journal personnel. Paris.
Lejeune,
P. (1998). Pour l’autobiographie. Chroniques. Paris: Le Seuil, coll. La
Couleur de la vie.
Lejeune,
P. (2001). Vers une grammaire de l’autobiographie. Genesis, (16).
Mandela,
N. (1994). Un long chemin vers la liberté (trad. C. Audard). Paris: Fayard.
May, G. (1979). L’autobiographie. Paris: Presses Universitaires de
France (PUF).
Mineke,
S. (1989). Le je africain: Pour une typologie des écrits à la première
personne (fiction et non-fiction). Université de Leiden.
Mitaine,
B. (2013). « Paratexte ». Neuvième
Art. https://www.citebd.org/neuvieme-art/paratexte.
NdongNdong,
Y. M. (2015). Les écritures africaines de soi (1950–2010): Du postcolonial au
postracial? Trajectoires.
Riesz,
J. (2007). De la littérature coloniale à la littérature africaine –
Prétextes, contextes, intertextes. Paris: Karthala.
Sami,
M. (2013). L’écriture de l’enfance dans le texte autobiographique marocain.
Éléments d’analyse à travers l’étude de cinq récits: Chraibi, Khatibi, Choukri,
Mernissi et Rachid O.Thèse de doctorat, University of Florida.
Schipper,
M. (1999). Racines et ailes: Approches comparatives de la littérature
africaine. Paris: L’Harmattan.
0 Comments