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Raconter Pour Exister: Le Pacte Autobiographique Dans Un Long Chemin Vers La Liberté De Nelson Mandela

Citation: Oyetunde, J.O. & Barandao, D.D. (2025). Raconter Pour Exister: Le Pacte Autobiographique Dans Un Long Chemin Vers La Liberté De Nelson Mandela. Tasambo Journal of Language, Literature, and Culture, 4(1), 172-179. www.doi.org/10.36349/tjllc.2025.v04i01.018.

RACONTER POUR EXISTER: LE PACTE AUTOBIOGRAPHIQUE DANS UN LONG CHEMIN VERS LA LIBERTE DE NELSON MANDELA

Oyetunde Julius Oluwafemi
Faculty of Humanities, Redeemer’s University, Ede, Osun State, Nigeria
Joyetunde84@Gmail.Com
07060580681

And 

Barandao David D.
Faculty of Arts, Adeleke University, Ede, Osun State, Nigeria
Davisbran2000u@Gmail.Com
07068773484

Résumé

La présente étude examine la mise en œuvre du pacte autobiographique dans Un long chemin vers la liberté de Nelson Mandela. Loin de se limiter à une simple restitution chronologique des événements marquants de sa vie, Mandela engage, à travers ce récit, une entreprise de construction identitaire et de transmission mémorielle, à la fois personnelle, politique et collective. Son autobiographie se présente comme un espace de légitimation de son itinéraire de vie, de ses luttes et de ses convictions, tout en jouant un rôle mobilisateur dans le contexte historique de la lutte contre l’apartheid. En adoptant une démarche d’analyse littéraire, cette recherche s’attache à mettre en lumière les stratégies d’écriture par lesquelles l’auteur façonne son identité narrative et inscrit son témoignage dans une mémoire partagée. L’approche théorique s’appuie sur les travaux de Philippe Lejeune (1975), notamment sur sa conceptualisation du pacte autobiographique, perçu comme un contrat de lecture fondé sur l’identité entre l’auteur, le narrateur et le personnage principal. Les réflexions de Mineke Schipper (1989) viennent enrichir cette analyse en approfondissant la question de cette triple coïncidence identitaire, condition essentielle à la reconnaissance du texte comme œuvre autobiographique.

Mots-clés: autobiographie, pacte autobiographique, pacte romanesque, pacte référenciel, pacte fantasmatique

Introduction

La littérature se présente sous diverses formes d’écriture, chacune poursuivant des objectifs spécifiques tels que la représentation du monde, le divertissement et l’imitation de la réalité. Ces formes sont regroupées sous l’appellation de genres littéraires, chacun adoptant une approche singulière pour atteindre ses objectifs: le roman s’appuie sur la fiction, le théâtre sur la mise en scène, et la poésie sur la symbolique. À ces genres s’ajoute, dès le XVIIIe siècle, l’autobiographie, un genre distinct qui s’inscrit dans la littérature personnelle et se veut au service de la vérité plutôt que de la vraisemblance.

Dans cette étude, nous proposons une lecture analytique de l’autobiographie d’une figure emblématique africaine, Nelson Mandela, à travers son œuvre Un long chemin vers la liberté. Afin de mieux cerner la notion d’autobiographie, nous nous appuyons sur la définition proposée par Philippe Lejeune (1975), théoricien français et fondateur des études sur l’autobiographie. Il définit ce genre comme un « récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité » (p. 14). Le mot vient du grec autos (soi-même), bios (vie) et graphein (écrire), ce qui signifie littéralement « écrire sa propre vie ». En d’autres termes, une autobiographie est un genre littéraire dans lequel une personne réelle raconte sa propre vie, en mettant l'accent sur son expérience personnelle, son évolution et ses pensées.

La problématique centrale de cette recherche est la suivante: dans quelle mesure cette œuvre respecte-t-elle les critères du pacte autobiographique, et comment sa dimension autobiographique influe-t-elle sur la construction narrative de l’identité de son auteur? Notre objectif est de relever comment ces critères dites autobiographiques sont respectés dans Un long chemin vers la liberté et dans quelle mesure le pacte autobiographique y est effectif. Dans le même ordre d’idées il s’agit d’une référence aux analyses de Mineke Schipper (1989) qui affirme que l’identité entre l’auteur, le narrateur et le personnage principal est un critère formel déterminant pour qualifier un texte d’autobiographique. Cette recherche met ainsi en évidence l’importance du genre autobiographique dans la transmission de l’histoire personnelle et collective, tout en soulignant les enjeux liés à l’authenticité et à la subjectivité de l’écriture de soi.

Nelson Mandela et Un long chemin vers la liberté

Nelson Rolihlahla Mandela est né le 18 juillet 1918 dans le village de Mvezo, au sein du clan Madiba, dans le Cap oriental. Après la mort de son père en 1930, il est élevé par Jongintaba Dalindyebo, régent du peuple Thembu. Scolarisé à Qunu, il reçoit le prénom « Nelson » selon la coutume coloniale, puis poursuit ses études secondaires à Clarkebury et Healdtown. Il entame des études universitaires à Fort Hare, mais en est expulsé pour activisme, ce qui marque le début de son engagement politique. À Johannesburg, il travaille comme agent de sécurité avant d’intégrer un cabinet d’avocats grâce à Walter Sisulu. Malgré des parcours académiques interrompus, Mandela obtient en 1989 une licence en droit de l’Université d’Afrique du Sud, pendant sa détention.

Dans Un long chemin vers la liberté, Nelson Mandela retrace son parcours, de son enfance dans le village de Mvezo jusqu’à son élection comme premier président noir d’Afrique du Sud en 1994. Adopté par le régent Thimbu après la mort de son père, il reçoit une éducation à la fois traditionnelle et occidentale. Étudiant à Fort Hare, il est expulsé pour activisme, puis s’installe à Johannesburg où il découvre la dure réalité de l’apartheid. Il rejoint l’ANC et participe à la création de sa Ligue de jeunesse, militant d’abord pour la désobéissance civile avant de co-fonder la branche armée Umkhonto we Sizwe face à la répression. Arrêté en 1962, puis condamné à perpétuité lors du procès de Rivonia, il passe 27 ans en prison, devenant un symbole mondial de la lutte anti-apartheid. Libéré en 1990, il œuvre pour la réconciliation nationale, obtient le prix Nobel de la paix en 1993 et devient président en 1994, consacrant sa vie à la justice, à la démocratie et à la paix.

Les différents pactes de l’écriture de soi

Dans l’écriture de soi, plusieurs types de pactes peuvent être établis entre l’auteur et le lecteur, chacun définissant un rapport particulier au réel. Le pacte autobiographique, théorisé par Philippe Lejeune, repose sur l’engagement de l’auteur à raconter sa propre vie de manière sincère, avec une identité affirmée entre l’auteur, le narrateur et le personnage principal. Le pacte référentiel, souvent associé au précédent, garantit la fidélité aux faits réels, affirmant que le récit proposé est vérifiable et non fictionnel. À l’inverse, le pacte romanesque rompt cette promesse de vérité en créant un univers fictif, souvent marqué par des noms inventés, des sous-titres évocateurs ou des situations imaginaires. Lejeune mentionne également le pacte biographique, qui concerne le récit de la vie d’autrui, tout en partageant le même engagement référentiel. Enfin, le pacte fantasmatique introduit une dimension symbolique, voire inconsciente, où l’auteur projette ses désirs et conflits internes à travers le récit, brouillant ainsi la frontière entre réalité vécue et fiction psychique. Ces différents pactes permettent de mieux cerner la nature et les intentions de l’œuvre autobiographique.

Le pacte autobiographique dans Un chemin vers la liberté

Le fondement essentiel de l’autobiographie réside dans le phénomène de l’identité triple, c’est-à-dire la coïncidence entre l’auteur, le narrateur et le personnage principal. Ce principe constitue ce que Philippe Lejeune appelle un pacte autobiographique, c’est-à-dire un contrat implicite (ou explicite) entre l’auteur et le lecteur, fondé sur un engagement de vérité. Dans Un long chemin vers la liberté, Nelson Mandela respecte rigoureusement cette logique. À travers ce récit, il nous plonge dans sa vie intime et politique, tout en manifestant clairement sa volonté d’authenticité. Le pacte autobiographique peut se manifester de manière explicite, lorsque l’auteur annonce clairement son intention autobiographique dès les premières pages. Il peut aussi être implicite, notamment par la correspondance entre les informations biographiques du narrateur-personnage et celles de l’auteur. Dans le cas de Mandela, les deux formes sont présentes. Dès l’ouverture de l’ouvrage, le lecteur est confronté à des éléments personnels précis le nom, la date et le lieu de naissance du narrateur qui correspondent exactement à ceux de l’auteur réel. Ainsi, Mandela écrit:

En plus de la vie, d’une forte constitution, et d’un lien immuable à la famille royale des Thembus, la seule chose que m’a donnée mon père à la naissance a été un nom, Rolihlahla. En xhosa, Rolihlahla signifie littéralement “tirer la branche d’un arbre”, mais dans la langue courante sa signification plus précise est “celui qui crée des problèmes”. […] Je suis né le 18 juillet 1918, à Mvezo, un petit village au bord de la rivière Mbashe, dans le district d’Umtata, la capitale du Transkei. (p. 4)

Cette déclaration autobiographique, à la première personne, engage immédiatement le lecteur dans une relation de confiance, fondée sur la sincérité du récit. Le narrateur se présente clairement comme Nelson Mandela, et l’ancrage dans le réel est renforcé par des références historiques et géographiques précises. Par ailleurs, selon Philippe Lejeune (2006), le lecteur identifie souvent le pacte autobiographique grâce à certains indices textuels ou paratextuels: le titre (Mémoires, Souvenirs, Histoire de ma vie), le sous-titre (Autobiographie, Journal, Récit), l’absence de mention du mot « roman », ou encore la présence d’une préface ou d’une déclaration en page de couverture. Dans Un long chemin vers la liberté, ces éléments sont bien présents. Le sous-titre mentionne clairement: « Autobiographie traduite de l’anglais (Afrique du Sud) », ce qui lève toute ambiguïté sur la nature du texte. À cela s’ajoute la présence du nom complet de l’auteur, Nelson Mandela, ainsi que sa photographie sur la couverture, renforçant ainsi l’effet de réel. L’ouvrage évoque également des lieux et dates clés de l’histoire sud-africaine, tels que Robben Island, Johannesburg, ou encore les années d’incarcération (1962-1990), autant d’éléments qui contribuent à l’authenticité du récit. Par ailleurs, la dédicace de Nelson Mandela contient précisément des éléments révélateurs de la nature autobiographique du récit. Voyons cette dédicace du narrateur:

Je dédie ce livre à mes six enfants: Madiba et Makaziwe (ma première fille), qui sont maintenant décédés, et Makgatho, Makaziwe, Zenani et Zindzi, dont le soutien et l’amour me sont précieux ; à mes vingt et un petits-enfants et à mes trois arrière-petits-enfants qui m’ont apporté beaucoup de joie ; et à tous mes camarades, mes amis et mes compagnons sud-africains au service de qui je suis, et dont le courage, la détermnation et le patriotisme restent ma source d’inspiration. (p. 2)

L’évocation de ses proches, l’ancrage dans sa réalité familiale et historique, ainsi que la mise en avant de ses valeurs, illustrent la volonté de l’auteur de partager un témoignage sincère et authentique. En somme, Un long chemin vers la liberté illustre parfaitement le pacte autobiographique tel que défini par Lejeune. L’identité entre auteur, narrateur et personnage, l’engagement à dire la vérité, l’ancrage historique et géographique, ainsi que les éléments paratextuels , viennent confirmer que Mandela a bel et bien choisi de livrer au lecteur un témoignage véridique de sa vie, de ses combats et de son époque.

Les éléments périphériques du récit autobiographique dans Un chemin vers la liberté

 

On entend par éléments périphériques du récit autobiographique, l’ensemble des indices ou critères qui permettent de confirmer la nature autobiographique d’un texte. Ce sont en effet, des faits ou indices qui sont facilement repérables dans le texte et dans le paratexte. Dans cette perspective, nous passons en revue Un chemin vers la liberté pour vérifier cette identité entre le personnage principal et l’auteur. Dans l’œuvre, le personnage principal se décrit comme suit:

En plus de la vie, d’une forte constitution, et d’un lien immuable à la famille  royale des Thembus, la seule chose que m’a donnée mon père à la naissance a été un nom, Rolihlahla. En xhosa, Rolihlahla signifie littéralement « tirer la branche d’un arbre », mais dans la langue courante, sa signification plus précise est « celui qui crée des problèmes ». (p.4)

Le narrateur nous indique que Rolihlahla est le nom que lui a donné son père à sa naissance. Ce nom, celui du personnage principal, est identique à celui du narrateur. L’auteur du roman porte également ce nom. Autrement dit, le narrateur, l’auteur et le personnage principal sont une seule et même personne. Il est donc possible d'affirmer que l’identité du narrateur, de l’auteur et du personnage principal est bien établie.

Un texte écrit à la première personne

Dans un texte autobiographique, la narration se fait à la première personne, ce qui signifie que le narrateur utilise des pronoms personnels comme « je », « moi », « me », « nous » pour parler de lui-même, de son caractère et de sa personnalité. Cela implique nécessairement que l’identité de l’auteur, du narrateur et du personnage principal soit identique. Généralement, deux « je » coexistent ou cohabitent dans un récit autobiographique: le « je » adulte, c’est-à-dire celui du moment de l’écriture, et le « je » plus jeune, celui du moment où l’évènement raconté a eu lieu. Dans la préface du roman, l’auteur dédie son œuvre à ses enfants et amis en utilisant le pronom « je ». Il faut noter que le narrateur adulte et le personnage principal sont la même personne, mais à deux moments différents de sa vie: celui du souvenir et celui de l’écriture.

Le « je » adulte dans la narration

Dans une série de passage où le narrateur adulte utilise « je » pour s’exprimer, ce « je » renvoie énoncés faits par l’auteur à un moment précis de l’écriture, dans le présent de l’énonciation. En effet, l’auteur en employant la première personne du singulier, inscrit son récit dans une perspective subjective marquée par le temps de l’écriture. Ce « je » adulte s’exprime après coup, avec une distance qui permet une réflexion sur les évènements passés. Il n’est plus celui du moment vécu, mais celui qui a intégré et analysé ces évènements, ce qui rend le récit plus réfléchi et moins immédiat.

Les phrases comme « je dédie ce livre » (p. 2) ou « je me souviens » (p. 12) renvoient clairement à l’acte de narration dans le présent. Le narrateur adulte fait le choix de se remémorer des évènements marquants, en les partageant avec ses proches et ses lecteurs. Il ne se contente pas de raconter des faits, mais il leur donne aussi un sens, un poids émotionnel, à travers la perspective qu’il a acquise avec le recul du temps. L’acte de se souvenir est donc ici un acte conscient, un moyen pour l’auteur de transmettre une vision plus mûre et éclairée de son passé.

L’utilisation répétée du « je », comme dans les extraits « je pense que » (p. 46), « je suis l’aîné de la… » (p. 7) ou « je ne me souviens plus de… » (p. 356), souligne le travail de mémoire et d’introspection. Le narrateur adulte se pose souvent en témoin et en commentateur des évènements, apportant son regard critique sur les circonstances et ses propres réactions face à elles. Ce « je » adulte ne se contente pas de relater des faits, mais il interprète, analyse et réfléchit sur ce qu’il a vécu, ce qui fait du texte non seulement un récit, mais aussi un espace de réflexion et d’interprétation.

De plus, l’usage de « je » dans les moments de doute ou de remise en question, comme dans « je ne suis pas du tout… » (p. 415) ou « je me souviens bien de… » (p. 408), montre que le narrateur adulte a atteint une certaine forme de maturité et de lucidité, qui lui permet de revenir sur ses expériences passées avec un regard nuancé. Cette capacité à douter, à remettre en question ses souvenirs et ses convictions, témoigne d’une démarche intellectuelle et personnelle qui se construit au fil du temps. En se servant de cette technique narrative, Nelson Mandela transforme son récit en un espace de vérité, où la subjectivité du narrateur adulte fait face à l’objectivité du passé.

Plus important, le pronom « je » dans Un long chemin vers la liberté ne se réduit pas à une simple forme grammaticale. Il devient le vecteur de l'identité de l’auteur, qui mêle le passé et le présent, la mémoire et l’expérience. Le « je » adulte et le « je » du personnage principal s’entrelacent pour offrir au lecteur une vision complète et intime de la vie de Nelson Mandela, vue à travers les yeux d’un homme devenu adulte et sage, mais qui n’a jamais perdu le lien avec son passé d’enfant et de jeune homme.

Le « je » enfant dans la narration

En ce qui concerne le « je » enfant dans la narration, le pronom « je » est employé par le narrateur pour évoquer ses souvenirs d’enfance, et il se réfère au « je » du passé, celui qui a vécu les évènements racontés. Ce « je » enfant, contrairement au « je » adulte du tableau précédent, nous présente une version plus immédiate, moins filtrée des évènements. Le narrateur, en utilisant ce pronom, nous invite à entrer dans l’esprit du jeune Mandela, un enfant qui observe et apprend les réalités de son monde avec une innocence mêlée de curiosité. Le « je » enfant, donc, ne fait pas de commentaire rétrospectif sur les évènements, mais les relate dans leur immédiateté, du point de vue d’un enfant qui essaie de comprendre ce qui l’entoure.

Les exemples de phrases comme « je ne faisais pas partie… » (p. 6) ou « je n’avais pensé à rien… » (p. 16) illustrent cette spontanéité et ce manque de recul. Le narrateur ne possède pas encore la capacité de juger les évènements avec l’objectivité d’un adulte. L'innocence de l’enfance est palpable dans des passages comme « je croyais que le monde… » (p. 48) ou « je n’ai pas soupçonné… » (p. 13), où il semble que l’enfant ne réalise pas encore la complexité du monde qui l’entoure, ce qui est une caractéristique de l'enfance: une perception du monde encore non filtrée par les expériences et la connaissance.

Ce « je » enfant est aussi un « je » qui apprend et qui observe. Par exemple, dans des phrases telles que « j’ai observé quand j’étais… » (p. 13) ou « j’ai appris à tuer… » (p. 10), il devient évident que le jeune Mandela est plongé dans un environnement où il apprend par l’observation et l’expérience directe. La narration à travers ce « je » est un moyen pour l’auteur de montrer non seulement les évènements de sa jeunesse, mais aussi le processus de maturation de sa pensée et de ses idées. À travers ses souvenirs, le narrateur nous permet de voir comment il a grandi dans un contexte complexe, où la politique, les luttes sociales et les traditions jouent un rôle déterminant dans sa formation.

Les passages comme « j’étais enfant à Qunu » (p. 12) et « j’étais allé au lycée » (p. 52) nous rappellent aussi que ce « je » enfant évolue, se transforme et prend progressivement conscience de sa place dans la société. À mesure que les évènements se déroulent, nous assistons à un passage de l’innocence à une prise de conscience plus profonde, ce qui est aussi symbolisé par des moments où le narrateur montre son engagement croissant, comme dans « j’ai été désigné… » (p. 49) ou « je votai avec eux… » (p. 49). Ces souvenirs montrent l’évolution du jeune Mandela, qui devient progressivement plus conscient des enjeux sociaux et politiques qui l’entourent.

En somme, le « je » enfant dans Un long chemin vers la liberté est essentiel pour comprendre la jeunesse de Mandela dans sa complexité. C’est un « je » qui apprend, qui observe, qui est parfois naïf, mais qui, à travers son évolution, devient progressivement le « je » adulte réfléchi que nous avons vu dans le premier tableau. L’usage de ce « je » passé permet au narrateur de nous immerger dans son monde d’enfance et de nous offrir une vision intime de son développement personnel, de ses idées et de ses valeurs qui se forment à travers des expériences vécues dans le contexte d’une Afrique du Sud marquée par les injustices et les conflits.

Le paratexte du texte

Le paratexte désigne l’ensemble des éléments textuels et graphiques qui encadrent une œuvre littéraire et participent à sa présentation, son interprétation et sa réception. Ce concept, théorisé par Gérard Genette, a profondément influencé la critique littéraire contemporaine en soulignant l’importance de tout ce qui « entoure » le texte proprement dit. Comme le souligne Lane (1992), il s’agit de l’« entourage » du texte, incluant ses préliminaires, ses étiquettes et ses adresses. D’après Mitaine (2013), le paratexte remplit plusieurs fonctions essentielles:

l’identification (nom de l’auteur, titre de l’ouvrage, nom de l’éditeur, lieu et date d’édition, lieu d’impression, nom de la collection, code barre, etc.), de l’organisation (table des matières, bibliographie, répertoire, index, annexes), de la distinction (couverture souple ou rigide, format du livre, choix du papier) ou de la séduction (jaquette, illustration de surface, graphisme, etc.) (p. 2)

Gérard Genette distingue deux grandes catégories de paratexte: Le péritexte qui regroupe tous les éléments situés à l’intérieur du livre, comme la couverture, la préface, la postface, la dédicace ou encore les notes de l’auteur. L’épitexte: désigne les éléments extérieurs au livre, tels que les interviews, les correspondances de l’auteur, les critiques littéraires ou les campagnes publicitaires. De plus, le paratexte peut être produit par deux instances distinctes: Le paratexte auctorial: généré par l’auteur lui-même (préface, dédicace, entretiens, correspondances, etc.).Le paratexte éditorial: conçu par l’éditeur (quatrième de couverture, jaquette, avant-propos de l’éditeur, choix typographiques, etc.). En somme, le paratexte joue un rôle crucial dans la réception d’une œuvre. Il ne se limite pas à un simple ornement textuel ou graphique, mais constitue une interface entre le texte et le lecteur, influençant la manière dont l’ouvrage est perçu, compris et interprété.

Le paratexte éditorial

Le paratexte éditorial renvoie à l’ensemble des éléments produits ou choisis par l’éditeur dans le but de présenter, promouvoir et valoriser l’œuvre auprès du public. Il engage donc la responsabilité de l’éditeur, et comprend entre autres: la couverture, la page de titre, la quatrième de couverture, la jaquette, la bande, les catalogues, les illustrations, ainsi que les messages publicitaires.

La couverture du récit autobiographique Un long chemin vers la liberté de Nelson Mandela est riche en signification et en symbolisme. Elle présente un fond sombre, créant une ambiance visuelle lugubre qui évoque une existence marquée par la douleur, l’oppression et les ténèbres. Toutefois, cet arrière-plan ténébreux est contrasté par la clarté du visage de l’auteur, mis en valeur au centre de la page, et par l’écriture en blanc lumineux du nom de l’auteur ainsi que du titre de l’œuvre. Cette opposition visuelle entre ombre et lumière renvoie symboliquement au parcours difficile mais porteur d’espoir de Nelson Mandela. Le visage éclairé de Mandela suggère l’émergence de la lumière après de longues années de souffrance, incarnant l’idée que, malgré l’âpreté du combat, une issue favorable est possible. Ce regard grave, empreint d’émotion et de dignité, reflète non seulement l’angoisse individuelle, mais aussi les souffrances collectives subies par le peuple noir sud-africain sous le régime de l’apartheid. Le titre Un long chemin vers la liberté, bien qu’évocateur d’une épreuve ou d’un parcours initiatique, ne renseigne pas explicitement sur le genre littéraire de l’ouvrage. L’absence d’un sous-titre générique ou d’une indication éditoriale précise laisse planer le doute: s’agit-il d’un roman, d’un récit historique, d’une autobiographie ou encore d’un essai politique? Ce silence éditorial sur la nature exacte de l’œuvre oblige donc le lecteur à se tourner vers d’autres éléments du paratexte pour en apprendre davantage.

La quatrième de couverture joue un rôle crucial dans l’orientation du lecteur et dans la création du désir de lecture. Dans le cas d’Un long chemin vers la liberté, elle s’ouvre par un court texte narratif et informatif qui résume l’itinéraire de Mandela, depuis son enfance au sein de la royauté Thimbu jusqu’à son accession à la présidence de la République sud-africaine. Ce résumé met en lumière les principales étapes de son combat politique, notamment son engagement dans l’ANC, son emprisonnement pendant vingt-sept ans, et son rôle déterminant dans la lutte contre l’apartheid. Le texte insiste également sur la valeur historique et politique de l’œuvre, en la présentant comme un document majeur sur l’histoire contemporaine de l’Afrique du Sud. Il souligne l’exceptionnalité de l’homme, prix Nobel de la paix, tout en mentionnant l’adaptation cinématographique du livre, sortie en 2013 un élément qui participe également à la stratégie éditoriale de promotion.

Conclusion

L’analyse du récit Un long chemin vers la liberté à la lumière du pacte autobiographique théorisé par Philippe Lejeune confirme son inscription rigoureuse dans le genre autobiographique, respectant les critères de forme, de temporalité et d’identité narrative. Cette œuvre dépasse la simple narration d’une trajectoire individuelle pour devenir un instrument de transmission de la mémoire collective sud-africaine, en articulant étroitement histoire personnelle et luttes politiques. À travers son écriture, Nelson Mandela érige un espace de revendication identitaire, de reconstruction historique et de justice symbolique. L’étude souligne ainsi le rôle essentiel de l’autobiographie dans la préservation de la mémoire nationale, dans la dénonciation des injustices passées, et dans l’éveil des consciences citoyennes. Un long chemin vers la liberté illustre pleinement la capacité du récit de soi à conjuguer témoignage individuel et enjeu politique, renforçant la portée sociale et historique du genre autobiographique.

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